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Femmes et filles du village Bongo et des villages alentours

mardi 6 décembre 2022, par Bernadette Biligui, Marie-Anne Failliot Chichery

Ces propos ont été recueillis lors d’un échange avec Bernadette attachée au village Bongo pour avoir épousé un natif du village comme le veut la tradition. Elle-même a vécu son enfance dans un autre village, de l’autre côté du fleuve Sanaga dont le contexte est quelque peu différent, dont la densité de population est plus élevée, et la ville la plus proche située à une dizaine de kilomètres est accessible pour étudier au-delà de l’école primaire, ce qui n’est pas le cas des villages autour de Bongo.

Bongo est à 70 km de Bafia, préfecture du Mbam, dans la région Centre du Cameroun. Aux saisons des pluies, la route difficile à entretenir isole les populations des villages de Bongo et de ses alentours. Bongo s’étend sur 12 km de part et d’autre de cette route.

Des villages ruraux, relativement isolés, qui ont conservé un mode de vie assez éloigné de celui des zones urbaines, même si des allers et retours entre villes (Bafia, Yaoundé, Douala) et villages, de familles dont un membre au moins a trouvé un emploi dans l’une de ces villes ont lieu régulièrement.

Les crises successives ont occasionné des pertes d’emplois urbains et posé la question du retour au village où, bon an mal an, la nourriture est abondante. C’était et reste un challenge pour le CODEVIB (COmité de DEveloppement du Village Bongo crée en 1990 renouvelée en 2013, regroupant toutes les associations bongolaises : Femmes et Filles, Jeunes, coutumière, parents d’élèves … pour décider ensemble de l’avenir du village et soutenir les projets de développement : EAU, SANTE, EDUCATION, ECONOMIE). C’est le partenaire de AAMABA qui lui apporte son aide aux projets notamment sur le plan des financements que AAMABA cherche à obtenir auprès de ses partenaires, et chaque année auprès de ses membres et sympathisants.

En 1990, à la création du CODEVIB et 1995 celle de AAMABA, le village ne dispose que de 2 forages pour alimenter en eau potable une population qui se répartit sur 12 km. Les villages voisins de l’Aire de Santé de Bongo, ne sont pas mieux lotis. L’eau des marigots rapidement infestés après la saison des pluies utilisée et consommée provoque toutes sortes de maladies notamment parasitaires, qui entravent le développement de ces villages.

Femmes et Filles de Bongo des années 1990

Les femmes effectuent les tâches ménagères et s’occupent des enfants, de plus, ce sont elles qui cultivent en permaculture de quoi nourrir leur famille et préparent les repas. Les hommes qui les aident pour certaines tâches exigeant de la force, fournissent le bois de cuisine, la chasse et tout ce qui concerne les travaux difficiles tels que le défrichement des plantations dans la forêt, sans oublier les constructions des cases d’habitation.
Ce sont les femmes et les enfants, garçons et filles, qui effectuent quotidiennement les corvées d’eau et peuvent également ramasser du bois pour la cuisine.

En 1995, l’eau potable des 2 forages est inaccessible pour la plupart des villageois qui vont donc utiliser l’eau des marigots jusqu’à épuisement de la ressource rapidement polluée. S’en suivent des visites aussi épuisantes à l’unique Centre de Santé, voire en ville pour ceux qui en ont les moyens. Certains y accèdent au prix de longs trajets aller-retour.
Pourtant, toutes ces familles mettent un point d’honneur à envoyer leurs enfants, filles et garçons, à l’une des deux écoles primaires du village, l’une privée confessionnelle (payante) et l’autre publique. Cette dernière est surchargée à l’époque, rapidement délabrée par les pluies bien qu’elle soit régulièrement « retapée ».
Les filles se rendent donc régulièrement à l’école parfois éloignée de 10 km de leur maison, et malgré ces allers-retours fatigants, effectuent les corvées d’eau au retour de l’école. Les résultats scolaires ne sont pas toujours à la hauteur, bien que filles comme garçons obtiennent le Certificat d’Études Primaires dans le meilleur des cas, sans pour autant passer l’examen d’entrée en 6ème. A l’époque, l’entrée en 6ème oblige les enfants à quitter le village pour s’installer en ville dans de la famille pour une dépense qui ne peut être faite pour tous les enfants d’une même famille. Dans les familles, pour des raisons de moyens financiers ou d’accueil en ville, les garçons sont choisis en priorité pour poursuivre leurs études.

Pas question de mariages arrangés, femmes et hommes se marient par choix et par amour.
Hier et encore aujourd’hui, un mariage qui tourne mal, les violences conjugales si elles existent, peuvent être gérés par la communauté et aboutissent au retour des femmes dans leur famille, avec leurs enfants, sans l’intervention de services sociaux qui, de fait, n’existent pas, sans recours à la justice.

Peut-on parler d’un équilibre dans la différence entre l’autorité paternelle et l’autorité maternelle. Avant l’esclavage et la colonisation, le système était matriarcal mais les décisions étaient prises en concertation entre les deux parents ; mais le dernier mot revenait à la femme qui était chargée de l’éducation de l’enfant avant sa majorité et la pleine décision à la mère pour les filles. Le système devenu légalement patriarcal, il est vraisemblable que dans les villages, hommes et femmes ont chacun leur pré carré mais la participation à l’économie de la famille est finalement assez équilibrée, du moins, les contraintes administratives ne prennent pas le pas sur la vie familiale.
AAMABA a pu admirer la façon dont la construction des écoles primaires et maternelles a été effectuée par les hommes et par les femmes en s’appuyant sur les performances physiques des uns et des autres : les hommes creusant la terre, les femmes ramassant (sable, graviers, terre), les femmes portant l’eau, les hommes réalisant les parpaings, le tout de façon naturelle, et séparée, avec un objectif commun communautaire.

Quelle comparaison entre les femmes et les filles d’ici, en France et celles de Bongo, en 1995, avec la disparition galopante de la ruralité, les filles comme les garçons envoyés au pensionnat dès la 6ème, formés s’ils le souhaitent aux méthodes modernes de l’agriculture (époque de la culture et de l’élevage intensifs, mécanisés, motorisés) pour le retour possible d’un seul ou deux enfants de la famille – moins souvent qu’autrefois pour l’aîné, mais plutôt pour le plus motivé, les filles sont encore peu nombreuses à diriger l’exploitation de leurs parents, souvent cantonnées aux tâches ménagères et aux petits élevages de proximité et de subsistance quand elles n’ont pas un emploi salarié. On a encore peu entendu parler de Monsanto, des algues vertes et du lisier. Les OGM ont fait leur apparition, la confédération paysanne commence à se faire entendre, on commence à entendre parler du « bio ». L’industrie agroalimentaire va faire parler d’elle. Les crises sont à nos portes en France.

Femmes et filles d’aujourd’hui au village Bongo et villages alentours

27 ans après les choses ont-elles bougé au village pour les femmes et pour les filles ici et ailleurs ?
Au village, femmes et hommes ont construit les 2 écoles primaires et 2 écoles maternelles pour un accès facilité de part et d’autre du village, sur l’un des deux sites, le village a décidé de créer une aire de 30 ha dédiée à l’éducation : le campus de Bitanya, avec son propre forage, son château d’eau, ses deux fontaines, ses sanitaires, son logement administratif, et son collège d’enseignement technique industriel et commercial (CETIC) construit avec les élèves des sections menuiserie, maçonnerie et leurs enseignants, bientôt transformé en Lycée pour la poursuite des études de ces filles et garçons titulaires désormais et pour la plupart d’un CAP.

Enfin, sur le campus de Bitanya, le projet d’un Centre de Formation à l’Agriculture est en cours de demandes de financement, pour les jeunes de moins de 25 ans revenus des villes à cause des crises qui ont touché l’emploi urbain, dans l’objectif du développement économique au village et plus généralement de l’autosuffisance alimentaire de la région.
En parallèle, 7 nouveaux forages ont été réalisés ainsi que 3 châteaux d’eau dont celui du campus, des amenées d’eau vers des fontaines dans deux quartiers dont celui de l’aire de santé.

Les conditions de vie et de santé se sont nettement améliorées, la scolarité soutenue des garçons comme des filles leur permet d’accéder à la 6ème en restant au village et bientôt de poursuivre jusqu’au bac professionnel.
Bien que les points d’eau potable ne soient pas à moins de 200 mètres de toutes les habitations, la plupart sont à moins d’un à 2 kilomètres.

Tous en bénéficient sous l’angle de la santé, mais ce sont les femmes et les enfants qui en sont les premiers bénéficiaires en gain de temps pour étudier à la maison ou se consacrer aux enfants. Le niveau scolaire s’est élevé, la qualité des résultats scolaires est remarquable.
Les filles sont en nombre au CETIC. Elles le sont pas seulement parce que les parents n’ont pas les moyens de les envoyer en ville, mais plus encore parce que cette population féminine a vécu son enfance dans un milieu protégé, loin des « tentations » de la ville qui risquent de les faire abandonner rapidement leurs études et se retrouver encore très jeunes avec un ou deux enfants. De plus, un collège d’enseignement général a ouvert ses portes dans le village voisin, accessible depuis Bongo.
Si la répartition des tâches reste à peu près la même entre homme et femmes, et que la production de cacao a repris, à laquelle s’ajoute une fierté du village : la culture du citron dont la vente dépasse largement les frontières du village et des villages alentours, les femmes poursuivent les cultures des produits qu’elles cuisinent. A cela s’ajoute souvent un petit commerce local, en bord de route, et la vente de leurs surplus sur les marchés de Bongo, des alentours et au-delà.

Avec le projet de Centre de Formation en Agriculture des jeunes, filles et garçons, le maraîchage au bord de la Sanaga, un terrain riche en alluvions et non impacté aux saisons sèches, est l’objectif final de ce projet de première importance car il permettra, grâce à des méthodes modernes mais biologiques (« organiques ») une production vendue localement de produits variés et de qualité, dont les surplus acheminés vers les villes les plus proches feront progresser vers l’autosuffisance alimentaire tout un pays.

Les rôles des femmes et des hommes en seront-ils bousculés ?

En France durant toutes ces années, l’agriculture n’a cessé de poser problème aux agriculteurs qui ne s’y retrouvent pas malgré des tâches de plus en plus contraignantes sans en tirer le moindre profit. Est-ce la raison pour laquelle, les filles et les femmes seraient de plus en plus nombreuses à reprendre les exploitations (qui restent) ? L’agriculture en question en France, les discours, les analyses, ont bien changé en 27 ans. L’agriculture avec moins, si ce n’est plus du tout, de « pesticides » et d’engrais chimiques, suite au constat de dégâts environnementaux désastreux , est devenu un vrai débat de société complétant la problématique des changements climatiques. Se pose le même problème qu’au Cameroun : comment devenir autonome et autosuffisant pour notre alimentation et éviter les aléas climatiques qui impactent progressivement tous les aspects de la vie sur terre.

Que nous ont apporté ces femmes et ces filles d’ailleurs (de Bongo) en Amitié Mutuelle ? Beaucoup sur l’efficacité de la permaculture et le respect de la terre nourricière..
Que pouvons-nous leur apporter de notre côté ?
Le constat des dégâts que font les pesticides et certains engrais chimiques sur la terre afin qu’elles ne fassent pas les mêmes erreurs que nous, même si les mises au rebut de la plupart de ces produits leur sont proposés, quasi imposés par une propagande lobyiste..

Pour ce qui concerne l’Action Mutuelle, AAMABA soutient tous les projets qui peuvent faciliter la vie au village, une éducation de qualité, une formation en adéquation avec un développement raisonné, respectueux de l’environnement, occasionnant moins de fatigue, des terres et des valeurs à transmettre à leurs enfants. Et de notre côté en France, en écho, nous espérons le réveil de nos âmes de cultivatrices et de cultivateurs en participant par exemple aux mouvements des AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne).

propos recueillis lors d’un échange avec Bernadette Biligui, membre de AAMABA