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Communiqué LDH / Gisti

mardi 24 octobre 2017

Aides des départements aux jeunes majeur-e-s : le principe d’égalité s’impose !

Paris, le 18 octobre 2017

En décembre 2014, le conseil départemental de la Manche a décidé de réformer les aides accordées aux jeunes majeur-e-s. Ces aides, souvent appelées « contrat jeune majeur », sont fondées sur plusieurs dispositions du Code l’action sociale et des familles [1].

Tirant argument du fait qu’il s’agit d’une aide facultative, le département de la Manche a, dans un premier temps, édicté deux conditions discriminatoires :

 être de nationalité française ou ressortissant-e de l’Union européenne « en situation régulière de séjour » ;

 avoir été pris-e en charge au moins deux ans avant sa majorité par les services du département.

Ces conditions visaient clairement à écarter les mineur-e-s isolé-e-s étranger-e-s (Mie) du bénéfice de ces aides une fois atteinte leur majorité, en les renvoyant à d’hypothétiques aides de droit commun [2].

Le 23 février 2015, le Gisti et la Ligue des droits de l’Homme ont saisi le tribunal administratif de Caen pour demander l’annulation de cette délibération en raison de son caractère discriminatoire.

Plutôt que d’attendre que le tribunal statue et prononce, très probablement, une annulation pour discrimination, le conseil départemental de la Manche a décidé de supprimer la condition de nationalité tout en augmentant la durée nécessaire de prise en charge préalable. C’est ainsi que sa délibération du 11 mai 2015 conditionne l’attribution de l’aide jeune majeur-e à l’obligation d’avoir été pris-e en charge pendant au moins trois ans consécutifs avant la majorité.

Le Gisti et la Ligue des droits de l’Homme ont maintenu leur demande d’annulation car, en moyenne, 85 % des jeunes isolé-e-s sont confié-e-s aux services de l’aide sociale à l’enfance des départements après leur quinzième anniversaire. En pratique, ils-elles ne peuvent, dans leur immense majorité, satisfaire à la condition de trois années de prise en charge avant leur majorité.

La manœuvre du conseil départemental de la Manche avait donc pour objectif d’obtenir le même résultat, à savoir l’exclusion des majeur-e-s isolé-e-s étranger-e-s du bénéfice d’une aide, en tentant d’échapper au grief de la discrimination.

Le tribunal de Caen, dans un jugement du 12 novembre 2015, a dû faire preuve d’une belle inventivité pour transformer une mesure discriminatoire en une condition « objective et justifiée par une nécessité d’intérêt général en rapport avec l’aide ». Son raisonnement ? « La gravité des conséquences d’une fin de prise en charge n’est pas dépourvue de liens avec la durée et l’intensité de celle-ci. »

La cour d’appel de Caen vient heureusement d’annuler cette décision, en rappelant qu’à l’inverse, les difficultés d’un-e jeune majeur-e pouvaient aussi « être accrues par l’absence ou la durée limitée de [sa] prise en charge en qualité de mineur ». Elle en conclut que le département de la Manche ne peut subordonner le bénéfice de cette prestation à une condition de durée de prise en charge préalable sans méconnaître le principe d’égalité.

De trop nombreux départements considèrent que le fait que l’aide aux jeunes majeur-e-s soit une prestation facultative leur permet de fixer des critères selon leur bon vouloir ; un pouvoir discrétionnaire qui s’exerce souvent au détriment des jeunes étranger-e-s isolé-e-s. La décision de la cour d’appel vient leur rappeler qu’ils ne peuvent conditionner leur aide à des critères sans rapport avec ceux prévus par le Code de l’action sociale et des familles, à savoir soutenir celles et ceux qui éprouvent de graves difficultés d’insertion à leur majorité, faute de ressources et de soutien familial. Une situation qui caractérise quasiment 100 % des jeunes majeur-e-s étranger-e-s isolé-e-s, et que certains départements ne pourront plus ignorer en tentant d’échapper à leurs responsabilités.

La Ligue des droits de l’Homme et le Gisti se félicitent de cet arrêt et resteront vigilants à la bonne application du principe d’égalité par tous les départements.

[1] En particulier sur celles de l’article L. 222-5, qui prévoit que « peuvent être également pris en charge à titre temporaire par le service chargé de l’aide sociale à l’enfance […] les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui éprouvent des difficultés d’insertion sociale faute de ressources ou d’un soutien familial suffisants. »

[2] La délibération du 11 décembre 2014 faisait état de la possibilité pour les Mie de déposer une demande d’asile et d’obtenir ainsi, une fois leur majorité atteinte, les aides réservées aux demandeurs d’asile.