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Prisonniers politiques palestiniens : 40 jours de grève de la faim !

mercredi 14 juin 2017, par Philippe Gailhardis

Surveiller et punir
Pour beaucoup de maniaques du « maintien de l’ordre », Israël est l’exemple insurpassable. Ce qui marche avec les Palestiniens peut aussi bien fonctionner avec les pauvres et les indociles. Après 40 jours de grève de la faim menés par 1300 prisonniers politiques dans l’indifférence quasi totale des médias, c’est le moment de s’interroger sur ce « modèle »...

A la prison, ce lundi 5 juin, les gardiens ont frappé les prisonniers et leurs familles avec des bâtons et les ont aspergés de gaz lacrymogène.
Le père avait fait une longue route pour bénéficier d’une des deux visites mensuelles ré-autorisées. Ceux qui viennent de zone occupée, à quelques dizaines de kilomètres et autant de points de contrôle de là, peuvent y passer huit mauvaises heures. Arrivé à 7h30 du matin avec les autres familles, le père d’Omar a attendu jusqu’à midi avant de subir des fouilles humiliantes. Les familles se sont plaintes. C’est alors que les gardiens sont intervenus et que son fils, parmi les autres prisonniers menottés, a dû regagner sa cellule. Manifestement, les « matons » n’ont pas aimé les concessions obtenues par les grévistes de la faim...

Tous coupables
Ils sont actuellement 6 500 prisonniers politiques, dont 53 femmes et 300 enfants, à croupir dans les geôles de la grande démocratie israélienne. Parmi ces dangereux terroristes, des gamins de douze ans soupçonnés d’avoir lancé des pierres, fait passible de 20 ans de prison...
Hassan Safadi est l’un de ces détenus. Journaliste, il veut faire connaitre au monde, avec l’association Addameer, le sort de ses collègues prisonniers, autrement dit des Palestiniens de Cisjordanie, puisque pratiquement chaque autochtone, ou l’un de ses proches, est assuré de passer une partie plus ou moins longue de sa vie dans les geôles de l’occupant. Environ un million (sur 3,2) ont connu cette expérience. On appelle ça « la case prison ». Cela fait partie du cursus. « Il a subi 40 jours d’interrogatoire et de tortures (privation de sommeils, positions douloureuses...), puis a été condamné à 6 mois de détention administrative, alors que ses parents venaient de payer 2.500 shekels (650 euros) pour sa libération » raconte Maan News [1]. Il vient d’écoper d’une prolongation de 6 mois.
La détention administrative, c’est la faculté pour l’occupant d’emprisonner qui il veut quand il veut sans donner de raison. Pas besoin de tribunal ni d’avocat. On reconnait là le pragmatisme des Britanniques, inventeurs du système.
La grève de la faim a été lancée le 17 avril par Marwan Barghouti, populaire cadre du Fatah, condamné cinq fois à perpétuité pour faits de résistance. Ses revendications étaient exorbitantes :

  • que l’on applique en Israël ce que dit le droit international sur les prisonniers, notamment la fin de l’isolement cellulaire, qui touche spécialement les enfants comme l’a dénoncé le rapporteur des Nations Unies, Richard Falk ;
  • bénéficier de traitements et interventions chirurgicales appropriés ;
  • l’accès à des accessoires intimes pour les femmes ;
  • et bien sûr ne plus être détenu sans inculpation...

Le geôlier est facétieux. Beaucoup de ces grévistes ont été privés de vêtements et de sous-vêtements de rechange et leurs cellules étaient intentionnellement garnies de cafards.
Sur la fin, Marwan, imité par d’autres résistants, ne prenait même plus les gorgées d’eau salée destinées à prolonger sa survie. Pour éviter de voir ces récalcitrants à bout de force tomber un à un d’inanition, ce qui aurait fait mauvais effet, le gouvernement a demandé à des médecins de les nourrir de force. C’est une opération très douloureuse et parfois mortelle. Mais les médecins israéliens s’y sont refusés. Maudit serment d’Hippocrate ! Un appel à candidature a été lancé auprès de toubibs mercenaires étrangers.
Et puis, sans qu’on sache vraiment pourquoi, l’occupant a cédé après 40 jours de grève. Était-ce la crainte de réveiller la conscience internationale assoupie (à l’exception des habituels protestataires) ?

Restons vigilants …
Sur le papier, les prisonniers ont obtenu, à défaut de respect du droit international (ignoré par Israël depuis sa création) de vraies améliorations dans leurs conditions de détention [2].

Espérons que ces promesses seront mieux tenues que celles du « processus de paix »...

A défaut d’intéresser gouvernements et médias, les grévistes de la faim ont suscité un mouvement de soutien citoyen à travers le monde. En Palestine même, une grève générale a paralysé le pays et des manifestations sévèrement réprimées ont fait de nombreux blessés. Des rassemblements, pétitions et jeûnes de plusieurs jours (dont celui de George Ibrahim Abdallah dans sa prison) ont été lancés sur les cinq continents. À Évry, les militants ont fait signer des cartes postales envoyées aux prisonniers et organisé une veillée devant l’Hôtel de ville...

Karim Younes a participé à la grève de la faim. En prison depuis 35 ans, il est prêt à mourir mais garde l’espoir :
« La vie est fermée par le gouvernement d’occupation à l’intérieur des camps et derrière les barreaux ou au milieu de l’obscurité noire. (...) Mais je suis certain que le jour viendra, le jour où je verrai la liberté et la liberté de mon peuple, où je verrai ma vieille mère souffrante et les habitants de ma ville natale dans le village de Ara, mes vieux amis les survivants, et le Carmel surplombant la mer de mes souvenirs embrassant le ciel. »

Philippe Gailhardis, pour Evry Palestine

Voir en ligne : EVRY PALESTINE


[1Agence de presse indépendante, également très critique envers le Fatah et le Hamas. C’est la source principale des faits relatés dans cet article.

[2Voici les principales concessions obtenues par les grévistes, selon Samidoun, réseau de solidarité des prisonniers :

1. Rétablissement d’une deuxième visite familiale mensuelle (supprimée il y a plus d’un an par la Croix Rouge Internationale). Elle se fera aux frais de l’Autorité palestinienne.
2. La durée des visites passe de 45 minutes à 1 heure.
3. Levée de l’interdiction de visites "pour raisons de sécurité" qui pesaient sur des centaines de membres de familles de prisonniers.
4. Arrêt de la pratique consistant à bloquer aux checkpoints des visiteurs ayant obtenu un permis et à les renvoyer chez eux.
5. Les prisonniers seront détenus dans des prisons le moins éloignées possibles de leurs familles, mais cela ne respecte toujours pas le droit international qui interdit à Israël d’incarcérer sur son territoire les Palestiniens vivant dans les territoires occupés. (4ème Convention de Genève).
6. Les grands-parents et petits enfants pourront rendre visite aux prisonniers.
7. Possibilité de faire des photos avec sa famille une fois par an.
8. Un téléphone public sera installé dans toutes les prisons et les prisonniers pourront communiquer avec leur famille sur une base quotidienne.
9. Autorisation pour des médecins indépendants de venir examiner les prisonniers.
10. Regroupement des prisonnières dans la prison de HaSharon. Les visites de leurs maris et de leurs enfants seront facilitées.
11. Le transport entre la prison et les tribunaux sera revu, notamment pour les femmes, les enfants et les prisonniers malades : durant ces transports très longs et épuisants dans des camions inconfortables, les prisonniers pourront recevoir des repas et aller aux toilettes.
12. Les enfants pourront étudier en prison.